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Le blog de sanctuaryofajran

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Ceci est un blog ou je publierais des fan fiction CCS, mes nouvelles et romans. Si vous avez des suggestion pour mettre à améliorer tout cela, me faire part de votre avis. N'hésitez pas à me faire part de votre avis en me laissant un commentaire.


Le cri de ma naissance valait le tien

Publié par sanctuaryofajran sur 11 Août 2015, 12:56pm

Catégories : #nouvelles

Le cri de ma naissance valait le tien

Enki, le visage tendu, les mains appliquées sur la poitrine d’un enfant malade, sentait son pouvoir agir et repousser le mal. Il était assez grand, selon les critères du peuple de sa mère, tout en étant aussi souple et svelte que les elfes dont le sang coulait dans ses veines.

Quand il eut terminé, il se redressa avec un soupir de soulagement :.
— Il vivra, souffla-t-il.
Le visage baigné de larmes, la mère prit son enfant dans ses bras :.
— Merci, vous êtes notre sauveur.
Sans dire un mot, le jeune homme se leva et s’éloigna d’un pas las. Il n’avait pas dormi depuis l’avant-veille et la fatigue commençait à se faire lourdement sentir. Mais le repos attendrait encore au moins une journée.
Arrivé au seuil de la porte, il marqua une pause, se retourna et regarda un instant l’enfant dont le visage semblait maintenant s’être apaisé. Il était encore faible. La maladie l’avait marqué dans sa chair, mais il était jeune et finirait par s’en remettre. D'autres n’avaient pas eu cette chance.
Il sortit ; les premiers rayons de l’aube éclairaient la rue dans la pénombre du petit matin. Un épais brouillard s’étendait sur le village et ses environs. Quand il était arrivé, c’était déjà presque trop tard. Cela faisait déjà un moment que l’épidémie sévissait dans la région. Avec plus ou moins de succès, on était parvenu à la circonscrire à ce village isolé en y déportant les malades dès l’apparition des premiers symptômes. En soi, isoler les malades était une mesure pleine de bon sens ; ce qui l’était moins, en revanche, c’était l’absence de soins et les conditions de vie plus que précaires. En temps normal le village hébergeait une cinquantaine de villageois : au plus fort de l’épidémie, les malades étaient près de mille, et beaucoup n’avaient même pas de toit pour s’abriter. On n’évacuait même pas les morts. Les condamnés étaient amenés ici pour mourir de la plus horrible des façons. Les choses s’étaient un peu arrangées depuis son arrivée, même s’il y avait encore de-ci de-là des cadavres trainant dans les rues. Une puanteur horrible infestait le village «une odeur de chair en décomposition. Des traînées de fumée noire emplissaient le ciel, un vent glacé tourbillonnant apportait quelques gouttes de pluie. Enki avait la gorge sèche, les mains tremblantes, la tête en feu.
Il titubait sous l’effet de la fatigue.
Malgré sa grande résistance, il était parfaitement conscient qu’il avait dépassé ses limites durant ces deux derniers jours... On ne faisait pas un usage aussi abusif de la magie sans en payer le prix. Tout ce qu’il espérait était de pouvoir finir le travail avant de s’effondrer.
Conscient que s’il marquait une pause, il ne se relèverait pas. Le magicien se força donc à ne plus y penser. D’expérience, il savait que se perturber avec des questions futiles pour lesquelles il n’avait pas de réponse ne représentait au mieux qu’une perte de temps.
Le jeune homme se força donc à se focaliser sur son objectif.
Le bruit du piétinement de sabots foulant le sol au galop vint soudain rompre le silence morbide. Le jeune homme releva la tête et en eut la confirmation : une dizaine de chevaux approchait.
Une belle femme blonde âgée d’une vingtaine d’années alla se planter devant lui. Bien que ses traits fussent, de primes abords, calmes et sereins, Enki percevait de l’inquiétude derrière ce masque d’impassibilité.
— Êtes- vous le guérisseur ? demanda-t-elle avec empressement.
Enki releva la tête, croisant le regard de la femme.
— J’en suis un parmi beaucoup d’autres, lui répondit-il en lui passant devant à la recherche d’un nouveau malade.
Il n’avait vraiment pas de temps à perdre en de vaines paroles.
Ne semblant pas s’offusquer de cette attitude pour le moins grossière, la femme lui emboita le pas.
— À cette différence que tous les autres sont impuissants face à la maladie. Comment pouvez-vous réussir là où même les meilleurs médecins royaux ont lamentablement échoué ?
— Cette maladie n’est pas naturelle, expliqua Enki dont l’attention venait juste d’être attirée par un homme qui gisait à terre.
Interrompant là ses explications, il se dirigea vers le moribond.
Même si la noble dame ne sembla pas se formaliser de ce comportement, ce ne fut pas le cas de son escorte, tout particulièrement l’un d’entre eux – apparemment le chef de la troupe. Celui-ci se tenait très raide et contenait vraiment mal sa colère devant le comportement irrespectueux du magicien. Et la fureur semblait s’être imprimée à jamais sur son visage.
— Eh toi, réalises-tu à qui tu t’adresses ?
Enki ne porta aucune attention à l’homme. Avec un air furibond, le soldat s’apprêta à réagir avec violence, lorsque d’un geste la femme lui intima de s’abstenir. Sans un mot, elle alla rejoindre le guérisseur.
— Ce n’est pas une maladie naturelle. C’est une maladie magique, reprit-il comme si l’intermède avec le soldat n’avait jamais eu lieu.
Il s’accroupit devant le malade appliqua ses mains sur son torse. Une pâle lumière les illumina.
— C’est la raison pour laquelle tous les remèdes et les décoctions sont sans effet. Voilà pourquoi seule la magie peut guérir.
La femme médita cette réponse. L’observant du coin de l’œil, Enki put deviner le cheminement de sa pensée aussi sûrement que s’il avait possédé le don de lire en elle. Hélas, l’heure n’était pas à ce genre de préoccupation. Ne voulant pas gaspiller son énergie en longue explication sur l’origine de l’épidémie, il lui demanda :
— Pardonnez-moi si je suis un peu brusque, mais peut-être devriez-vous me dire les raisons qui vous ont poussé à venir me trouver.
— Vous avez raison, je suis la princesse Elira, reprit-elle d’un air grave. Mon fils est malade, j’aimerais que vous veniez avec nous.
— Quand les premiers symptômes sont-ils apparus ?
La femme réfléchit un instant.
— Il a une forte fièvre depuis deux jours.
— J’essayerai de passer ce soir.
— Non, vous devez venir immédiatement. Nous vous donnerons tout l’or que vous souhaitez, mais il faut que nous partions, maintenant. Ce n’est pas quelque chose de négociable !Mon fils est au plus mal, il ne peut pas attendre !
— Et eux ? dit-il d’une voix blanche, dont la froide neutralité contrastait avec la panique évidente qu’on percevait dans celle de la femme.
Il esquissa un léger mouvement de tête en direction des malades qui gisaient dans la rue.
— Cela peut vous paraître cruel en tant que mère, mais ici aussi, il y a des mères dont les enfants sont malades depuis bien plus longtemps que le vôtre. Si je m’en vais, ils meurent ; c’est aussi simple que ça. Ces gens ont été amenés ici pour être isolés, pour que le mal ne se propage pas. Ce faisant, ils ont été abandonnés et condamnés à mourir loin des êtres qui leurs sont chers. Je suis leur seul espoir et vous voudriez les en priver ?
La femme baissa les yeux, le visage empreint d’une frustration contenue. Une nouvelle fois, la lumière dans les mains magicien faiblit après quelques minutes avant de s’éteindre complètement lorsqu’il eut terminé. Cet homme était bien plus malade que l’enfant, et il n’était pas certain qu’il survive. Si la maladie ne rongeait plus son corps, elle avait cependant fait trop de dégâts pour qu’on puisse raisonnablement présumer de ses chances.
En silence il se redressa, prêt à aller à la rencontre d’un autre contaminé, mais le capitaine des gardes s’interposa, lui bloquant le passage. Le soldat le regardait, une lueur réprobatrice dans les yeux.
— Sa Majesté t’a donné un ordre. Obéis et ne discute pas.
Enki fixa l’homme d’un regard méprisant.
— Impossible ! Je ne sacrifierai pas des dizaines de vies pour en sauver une seule ! (Il tourna alors la tête vers la jeune femme :) Je suis désolé, votre fils devra attendre.
— On ne te demande pas ton avis, espèce de traître. Tu fais ce qu’on te dit bien gentiment ou — je te passe mon épée en travers du corps.
— Vous voulez me tuer ? Rien de nouveau sous le soleil donc, lança-t-il le visage impassible et la voix moqueuse. Faites donc ! Ne vous gênez surtout pas pour essayer si ça vous amuse… Enfin si vous le pouvez, bien sûr.
Le capitaine, contrarié par l’arrogance du jeune homme se renfrogna encore plus. Il pointa un doigt menaçant vers le guérisseur qui osait le défier.
— Ne commets pas l’erreur de penser que j’hésiterais un seul instant, mon garçon. J’ai fait bien pire dans ma vie de soldat que couper des langues un peu trop bien pendues.
Enki lui adressa un sourire entendu, non dépourvu de cynisme.
— Comme brûler au fer rouge le visage d’un nourrisson et vous parjurer, je sais.
Ces mots avaient été prononcés sans une once d’agressivité ni aucune intonation particulière pouvant suggérer un éventuel double sens. Et pourtant inexplicablement le capitaine de la garde recula comme s’il venait d’être frappé.
— Surpris ? Il ne faut pas. Le revers de la médaille c’est que les nourrissons grandissent et que les parjures ne connaissent jamais la paix.
Perdant tout intérêt pour l’officier, il reporta son attention sur sa maîtresse.
— Vous être libre de me tuer, ou du moins, d’essayer, lui dit-il. Mais en faisant cela, vous condamneriez, non seulement votre enfant, mais aussi tous les gens de ce village. Je suppose que vous espérez que votre fils devienne quelqu’un de bien plus tard. Quel genre d’exemple lui donneriez-vous, si vous sacrifiez des dizaines de vies pour sauver la sienne ?
— Au moins sera-t-il vivant, souffla-t-elle.
Le capitaine, reprenant contenance, le rattrapa et l‘empoigna sans ménagement.
— Je te l’ai déjà dit, tu n’as pas le choix. Même si je dois te briser les deux jambes et te trainer par les cheveux jusqu’au palais, tu soigneras le prince.
Le magicien lui cracha au visage.
— Silence ! Je n’ai pas de leçon de morale à recevoir d’un individu comme toi.
Avant que le capitaine n’ait eu le temps de réagir, Enki lui saisit le poignet, qu’il lui passa en un éclair sous son épaule en se retrouvant derrière lui. Dans le même temps, sa main libre sortit la dague qui pendait à sa ceinture. En une seconde ce fut terminé : d’une main Enki, tordait le bras du soldat et de l’autre, il le menaçait de sa dague qu’il appliquait sur sa gorge.
— Maintenant, écoute-moi et tâche d’user du peu de cervelle que tu as. Chaque minute, chaque instant, que je passe à perdre avec toi, c’est une chance volée à ton jeune seigneur, car j’ignore combien de temps, je tiendrais. (Il se pencha vers l’oreille du soldat et murmura à voix basse de telle façon que personne d’autre ne puisse entendre: ) Par ta stupidité tu mets en danger la vie d’un autre enfant.
Il libéra sa victime, le poussant sans ménagement.
Sans dire un mot, le jeune magicien tourna les talons et s’éloigna d’à peine trois pas avant que la femme ne lui demande.
— Ne pouvez-vous vraiment venir ? Je comprends les raisons qui vous poussent à vouloir rester. Mais si nous partons maintenant, nous pourrions être de retour dans moins de deux heures.
— Vous ne comprenez pas la situation. Il y a presque deux jours que je n’ai pas mangé et que j’utilise mon pouvoir presque sans m’arrêter. Le temps est compté avant que je ne m’effondre. Et lorsque ça arrivera, il me faudra, au moins une semaine pour récupérer… si je survis.
La jeune femme écarquilla les yeux d’un air horrifié.
— Vous voulez dire que vous risquez de mourir ?
— Dans le pire des cas, oui. Ce qui est certain c’est que si je survis, je mettrai beaucoup de temps à m’en remettre.
— Pourquoi en arriver à de pareilles extrémités… ?
Enki regarda la jeune femme avec un air sincèrement surpris comme si la réponse était si évidente qu’il ne comprenait pas qu’on lui pose la question.
— Dans le pire des cas, je mourrai, mais j’aurai sauvé des centaines de vies. Ce n’est pas une mauvaise affaire, je trouve. De plus que pouvais-je faire d’autre ? Faire semblant de ne rien voir, alors que des gens que je peux aider meurent ?
La femme réfléchit un instant puis demanda :
— Peut-on vous aider ?
— Vous pourriez rassembler les malades que je n’ai pas encore soignés dans un même endroit, les nourrir, bruler les cadavres, cela me fera gagner du temps. Vos médecins ne peuvent rien faire contre la maladie, mais ils peuvent la ralentir, mettez-les au boulot.
Sans l’ombre d’une hésitation, elle tourna un regard plein d’autorité vers le chef de la garde et ordonna :
— Allez au palais chercher du renfort.
— Mais… commença le soldat
— Pas de discutions, Capitaine.
¤
Si je m’endors, je meurs.
Telle était la phrase qu’il ne cessait de se répéter pour lutter contre la fatigue.
En effet, bercé comme il l’était par le piétement régulier des pas du cheval, Enki avait beaucoup de mal à rester sur sa selle. Dans son état de faiblesse extrême, rester éveillé était devenu un effort de chaque instant. La déplaisante perspective de tomber de selle et de se rompre le cou, voire d’être écrasé sous les sabots de son propre cheval, était une motivation supplémentaire pour ne pas céder un pouce au sommeil.
Pourtant, malgré toute sa volonté, il se surprenait de plus en plus à perdre le fil de ses pensées, son esprit avait tendance à s’égarer dans la rêverie qui précède le sommeil sans qu’il puisse ne rien y faire. Il savait que son corps n’allait plus tarder à le lâcher et ce ne serait pas une simple sieste, si longue soit-elle, qui pourrait lui permettre de récupérer ses forces. On ne pouvait repousser si complètement et aussi longtemps la fatigue sans qu’il n’y ait des conséquences. Selon toute vraisemblance, il allait mourir. Il savait pourtant comment tout cela allait se terminer. Malheureusement, savoir ce qui va vous tomber dessus ne signifie pas forcément qu’il est possible de l’éviter, ni même que cela soit souhaitable.
Il remarqua alors que la princesse lui jetait des regards inquiets à la dérobée.
— Ne vous en faites pas, je m’efforcerai de ne pas m’écrouler avant d’avoir vu votre fils.
Elira secoua la tête.
— Ce n’est pas ça, lui répondit-elle. Enfin pas seulement. C’est juste que je ne comprends pas.
— Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?
— EtEh bien, pour commencer, ce qui peut pousser un étranger à risquer sa vie pour sauver des inconnus.
Enki éclata d’un rire qui, loin d’être joyeux, semblait au contraire chargé d’amertume. La princesse le regarda avec l’air de se demander si la fatigue ne lui avait pas finalement fait perdre la raison.
— Qu’est-ce qui vous amuse?
— Mais vous, bien sûr ! Malgré, vos trente ans révolus, vous ne manquez pas de candeur.
Piquée au vif, la princesse eut un léger mouvement de recul, l’air franchement contrarié.
— Vingt-quatre, seulement.
Enki haussa les épaules. Il venait de se rendre compte que vexer les puissants de ce monde était un excellent dérivatif pour s’occuper l’esprit et que de surcroit cela l’amusait beaucoup. Afin de ne quand même pas aller trop loin, il lui adressa un sourire faussement contrit et un regard où pouvait lire toute l’innocence d’un petit enfant. Il avait toujours été un arnaqueur de première. C’était le moment de lâcher une information qui pouvait avoir de l’importance plus tard.
— Désolé ! J’oublie toujours que le poids des années n’a pas la même valeur pour un elfe que pour un humain.
Enki ne put réprimer un sourire de satisfaction, lorsqu’il vit la surprise apparaitre sur les traits de la jeune femme. Il avait ferré le poisson et n’avait plus qu’à le sortir de l’eau.
— Vous êtes un elfe ?
— Demi-elfe, en vérité mon père était humain.
— Je croyais que ce type d’union était toujours stérile.
— Généralement, c’est le cas. Je suis une exception, semblerait-il.
Enki poussa un soupir las.
— Je sais par expérience que c’est le genre de conversation qui n’en finit pas. Mais je n’ai pas l’énergie pour me lancer dans un long débat.
Un regard suffit à Enki pour comprendre qu’il avait piqué au vif la curiosité de la jeune femme tout en la frustrant. Eu égard à son état, elle ne chercherait pas pour l’instant à en apprendre davantage. C’était parfait songea le jeune magicien. Décidément, tout se passait comme prévu.
— Très bien ! Mais dites-moi au moins pourquoi vous moquiez-vous?
— Votre vision de ce qui se passe ici est naïve. Vous pensez réellement qu’un étranger surgirait de nulle part pour sauver tout le monde sans autre motivation que d’aider son prochain ?
— C’est ce qu’il est advenu, je vous rappelle !
— Superficiellement peut-être. Mais qui vous dit que ces gens sont des inconnus pour moi ? Je ne suis certes pas du coin, mais j’ai peut-être de la famille dans le village. Il aurait alors été difficile de sauver les miens et de rester aveugle et sourd aux souffrances des autres.
— C’est le cas ?
— Pas exactement, mais ce n’est pas non plus très éloigné de la vérité.
— Pourquoi tant de mystère ?
— Pourquoi pas, si cela peut éviter de semer le désordre, lui répondit-il un sourire énigmatique au coin des lèvres.
C’était parfait, pensa le jeune magicien. Vraiment parfait ! Il avait semé des graines qui ne manqueraient pas de germer à leur heure. Le moment venu, ils sauraient qui il était. Il se surprenait d’être si doué dans l’art de la manipulation, d’y prendre tant de plaisir et de n’éprouver aucun remords. Pourquoi en aurait-il éprouvé d’ailleurs ? Il ne prévoyait de faire de mal à personne, bien au contraire, il avait fait beaucoup de bien en sauvant les villageois. Il était même allé jusqu’à risquer sa propre existence. Après tout, il n’intriguait que dans le seul but de récupérer ce qui lui revenait de droit. Il savait que les questions devaient se bousculer dans la tête de la princesse en cet instant et qu’elle devait avoir très envie de l’interroger plus. Elle n’en aurait cependant pas l’occasion, car au tournant du sentier, le château venait d’apparaitre.
Parfait timing, songea le magicien.
Si je m’endors, je meurs.
*
Ils avaient à peine pénétré dans les jardins du château qu’un homme richement vêtu et au regard fatigué accompagné de deux serviteurs vinrent à leur rencontre.

— Comment va, notre fils demanda, la princesse ?

L’homme au regard fatigué secoua la tête avec abattement.

— Sa fièvre a empiré.
— Ne t’en fais pas, Jellal, j’ai ramené un guérisseur qui le remettra sur pied.

Le châtelain regarda Enki l’air pas franchement convaincu.

— Lui-même ne me semble pas sorti de l’enfance.

La jeune femme fronça les sourcils, l’air franchement mécontent.

— Jellal !

L’homme leva les mains en signe d’apaisement.

— Excusez-moi, jeune homme ! Je ne cherchais pas à vous vexer, mais d’autres médecins ont déjà essayé en pure perdre. Je ne peux tout simplement plus me permettre le luxe d’espérer en vain.
— Il n’y a pas de mal.
— Tu peutpeux espérer, l’assura sa femme. Je l’ai vu soigner des dizaines de personnes bien plus mal au point que Galhen. De plus, il n’est pas médecin, mais magicien. Quant à son âge, il ne l’a sans doute pas autant que tu le crois, car du sang d’elfes coule dans ses veines.
— Elfe ?

La surprise envahit son regard ce qui était une réaction naturelle au vu de la révélation qui venait de lui être faite. Ce qui l’était moins en revanche fut ce qui suivit. En effet d’étonné le regard du noble devint neutre avec une légère lueur suspicion. Puis fixa le jeune homme attentivement, comme s’il voulait étudier les traits de son visage, ce qui n’avait aucun sens. À moins que… Enki fût fût pris d’un doute, réfléchis un instant, mais non ! Il était certain de n’avoir jamais rencontré cet homme avant aujourd’hui. Alors pourquoi cette étrange réaction. Ce regain d’intérêt à son endroit mit Enki sur la défensive. Ce sentiment ne fit que s’accentuer, lorsque le visage de Jellal s’éclaira et que ses traits se détendirent en une expression amusée.

— Je vois ! fit-il. Votre visage ne m’est pas inconnu, jeune homme.

Un frisson parcouru, le jeune magicien avait-il été découvert ? Certes, il avait fait en sorte que cela soit le cas, mais c’était encore un peu trop tôt pour cela.

— Je ne pense pas ! C’est la première fois que je viens dans ce pays, se défendit-il. Il ne me semble pas possible que nous nous soyons déjà rencontrés.

Le sourire de Jellal s’élargit.

— Si ce n’est vous cela toi être votre père ?
— Ça par contre, c’est possible, ajouta la princesse, car il a de la famille au village.

Jellal eut un bref éclat de rire.

— Au village, bien sûr !

Enki était pour le coup fort mal à l’aise, le mari semblait en savoir plus long que sa femme sur l’histoire de sa famille.

— Peut-être devrions-nous, nous occuper de votre enfant et éclaircir les histoires de famille, plus tard, suggéra Enki.

Le visage de Jellal perdit sa bonne humeur et redevint grave.

— Tu as raison ! Chaque chose en son temps. Nous en reparlerons plus tard si tu veux bien, je suis certain que nous avons des intérêts communs.

Elira lança à son mari, un regard surpris. Quel genre d’intérêt commun son duc de mari pouvait-il avoir avec le jeune magicien ? Son mari ne prononçait jamais une parole à la légère. Et connaissant le gout de l’animal pour les intrigues, les luttes de pouvoir, et autre faux semblant, elle doutait que ses paroles ne cachent pas quelque chose. Elle se jura de tirer tout cela au clair, mais chaque chose en son temps pour l’heure pour l’heure l’important était de remettre sur pied Galhen, tout le reste était secondaire.
Après avoir traversé de long couloir superbement décoré, on introduit alors Enki dans la chambre du petit garçon. Comme, il l’avait fait un nombre incalculable de fois au cours des derniers jours, il posa les mains sur la poitrine de l’enfant. Lentement, la lumière se répandit dans tout le corps. Après quelque minute, le visage du garçon sembla se détendre et la lumière faiblit. Quand il retira sa main, le petit garçon ne semblait plus souffrir.

— Est-ce que… commença Elira.
— Oui… fit Enki aussi pâle que la mort. Il est sauvé !

Jellal au comble de la joie se pencha vers le magicien et d’une voix trop basse pour être par d’autre qu’eux deux il dit :

— Quoique tu sois venu chercher, ici, je te promets de t’aider à l’obtenir.

Mais Enki était trop fatigué pour rester conscient une seconde de plus. Il s’écroula. Jellal le rattrapa.

— Les humains, je n’en finirais donc jamais de vous sauver, souffla Enki avant de sombrer dans l’inconscience
*
Les choses allaient mal pour Enki… très mal. Cela faisait maintenant deux jours qu’il était tombé dans le coma. Ironie du sort, celui qui avait sauvé tant de vie semblait être à son tour atteint de la maladie. Son corps en proie à de violentes fièvres était régulièrement secoué par des spasmes. La princesse inquiète savait pourtant qu’il n’était pas vraiment malade.
Le jeune magicien avait abusé de ses pouvoirs pour sauver des centaines de vies et maintenant, il en subissait le contrecoup. Il s’était épuisé, si complètement que son corps n’avait presque plus assez d’énergie pour refaire ses forces. Bientôt, il n’y aurait même plus assez de force dans ce corps pour assurer, les fonctions vitales comme respirer.
Enki avait expliqué tout cela à la princesse. Celle-ci avait pensé comprendre, mais en cet instant, au pied du lit du mourant, elle réalisait que ce qu’elle avait cru comprendre était bien au-dessous de la vérité. Bien évidemment, elle s’était doutée qu’il lui faudrait du temps pour récupérer. Comme il n’avait pas semblé en trop mauvaise forme si l’on exceptait son état de fatigue extrême, elle avait pensé qu’il exagérait un peu. De toute évidence, elle avait tort. Le magicien était en train de mourir sous ses yeux et rien et elle ne pouvait rien faire contre cela.
Cette mort certaine et imminente l’affectait bien plus qu’elle ne l’aurait dû. Bien sûr, il était naturel de déplorer la mort de ce jeune homme qui encore jeune n’avait pas hésité à faire don de sa vie pour enrayer une épidémie qui aurait pu s’étendre au pays, sauver son fils et des centaines d’autres. Seulement le sentiment qu’elle éprouvait allait bien au-delà. Elle ressentait un véritable sentiment de perde, un peu comme si le jeune magicien avait été un être cher. Et ça, ça n’avait pas de sens ! Après tout, elle ne le connaissait que depuis quelques heures, on ne pouvait raisonnablement pas se lier avec qui que ce soit en un temps si court.
Elle sursauta lorsqu’une main se posa sur son épaule. Elle se retourna et vit son époux.
Il lui sourit tristement.
«Il ne va pas mieux ?
Elle secoua la tête avec lassitude.
« Je crains qu’il n’en ait plus pour très longtemps.
Jellal poussa un soupir, qui traduisait un état d’esprit affligé contrastant de manière flagrante avec la détermination que l’on pouvait lire dans son regard. Elle l’observa. Étrangement, il semblait affecté lui aussi par l’état du jeune homme. Et ça, c’était vraiment très bizarre, car il en fallait plus pour affecter un homme de la trempe de son conjoint.
Jellal joignit les mains, phalanges vers le haut. Des mains parfaites, aux ongles manucurés. Il faisait souvent ce geste, qui lui allait d'ailleurs très bien. Très aristocratique. Parfaite gravure de mode. La noblesse dans toute sa splendeur et son arrogance. L'élite de la nation, la quintessence du snobinard. En apparence du moins. Jellal puait le fric et le pouvoir à plein nez, acquis de façon suspecte par de multiples intrigues de palais et en influençant la politique du pays. À ce petit jeu, Jellal ne faisait pas honte à ses ancêtres. C’était un véritable animal politique et elle avait parfaitement conscience de n’être même pas au courant du dixième de ce qu’il faisait et s’en félicitait. Elle avait d’ailleurs toujours soupçonné que son propre mariage n’avait été le résultat de quelques manœuvres politiques. Non qu’elle s’en plaigne loin de là. Avec ses cheveux blonds, son teint aussi immaculé que sa réputation (en apparence du moins), son profil de patricien et son accent british, c'était le parti idéal. Sauf qu’une petite anomalie s'était glissée, le différenciant de manière irrémédiable de tous ceux qui l’avaient précédé. Par certains côtés, il correspondait exactement au profil ci-dessus décrit. Par d'autres, en revanche, il faisait carrément tache et eût fait rougir de honte ses augustes aïeux. La génétique a de ces bizarreries...
«Quel gâchis, finit-il par lâcher!
Elle le regarda avec une certaine suspicion. Il n’était pas dans la nature de son mari de se laisser si facilement émouvoir. Son mari était un homme dangereux. Même s’il n’avait jamais participé au moindre conflit, elle savait qu’il avait des penchants étranges et le soupçonnait de s’être livré à l’occasion à quelques actes de barbarie, dont un ou deux meurtres.
«Je te vois venir, dit sa femme.
«Plait-il?
«Je connais bien cette expression.
— Quelle expression ?
— Mâchoire crispée, sourcils froncés... Tu sais quelque chose que j’ignore.
— Évidemment.
— Et quoi donc ?
Jellal réprima une grimace.
— Il vaut mieux que je ne te dise rien pour l’instant.
— Pourquoi ?
— Disons que cela risquerait de te perturber. De plus, avant de t’en parler, j’aimerais en savoir davantage. Sans oublier que notre jeune ami magicien a peut-être ses propres plans, et je ferais preuve d’une belle ingratitude en gâchant tout par mes révélations.
La princesse fronça les sourcils. En quoi ces révélations pourraient-elles l’affecter ? De plus, il avait parlé d’implications. Connaissant son époux, ce mot avait une signification lourde de sens… Cela ouvrait tout un monde de possibilité, mais elle n’en voyait aucune qui puisse expliquer de façon crédible le rôle que pouvait jouer le magicien dans toute cette histoire. Jellal avait justifié son mutisme en prétextant que cela pouvait la perturber. Elle était donc concernée, mais de quelle manière, cela, ça restait un mystère.
— Tu en as trop dit ou pas assez. Si, d’une manière que je ne comprends pas, je suis impliquée, j’ai le droit de savoir.
Jellal fit la moue. Durant un instant, elle crut qu’il allait parler, mais un bruit attira leur attention.
Enki avait bougé. Il ne s’était réveillé qu’une fois au cours des deux derniers jours et il n’était resté conscient que quelques minutes.
Les lèvres du jeune homme remuaient faiblement et il était évident qu’il voulait dire quelque chose. Elira se pencha et ne perçut que deux mots.
— Pierre… Sacoche… bredouilla le magicien avant de sombrer à nouveau dans l’inconscience.
Elle se redressa et exigea qu’on lui amène les effets personnels du guérisseur. Peu après, un serviteur revint avec les maigres possessions du jeune homme. La princesse se jeta sur la sacoche, la fouilla et sans surprise y trouva une pierre. Pourquoi le magicien l’avait-il réclamé ? Lui seul aurait pu répondre, mais il était retombé dans le coma.
Ne sachant que faire de l’objet, elle le plaça dans sa main. À peine la pierre était-elle entrée en contact avec sa peau que l’effet fut immédiat : le corps entier du magicien frémit et se souleva, en proie à un violent spasme. Puis, ses traits se détendirent et il sembla à la princesse qu’il souffrait moins. Il ouvrit les yeux.
— Est-ce que ça va mieux ?
— La pierre ! J’y avais stocké de l’énergie au cas où je me retrouverais dans ce genre de situation.
— Tu es hors de danger, alors ?
Elira remarqua que son mari était passé au tutoiement ce qui était rare : habituellement, il vouvoyait tout le monde à part ses proches. Il l’avait vouvoyée pendant toute la première année du mariage... Cela rendait encore plus extraordinaire cette familiarité instantanée avec le magicien. Encore une fois, elle se demanda ce que son mari pouvait bien savoir sur ce mystérieux jeune homme… Et puis d’ailleurs, comment pouvait-il le connaître ? Certes, Jellal était bien informé, mais sa connaissance des événements concernait la politique. Comment aurait-il pu savoir quoi que ce soit sur un magicien arrivé à l’improviste, suite à un événement aussi exceptionnel et imprévisible qu’une épidémie ? À moins que… que … Enki aurait-il un lien, d'une manière ou d’une autre, avec les intrigues de palais dont son époux était si friand ? Une multitude de questions lui brulait les lèvres, mais ce n’était pas l’heure de le fatiguer inutilement, elle finirait bien par obliger son mari à tout lui avouer.
— Non ! La pierre n’a pas assez d’énergie pour me sauver, juste assez pour ralentir mon agonie et me permettre de rester conscient une journée dans un état pitoyable.
— N’y a-t-il aucun moyen de vous sauver ?
— Il faudrait que je puisse puiser de l’énergie dans un artefact magique beaucoup plus puissant que cette pierre de pouvoir. Mais de tels objets sont rares. Il en existe un, dans ce pays, et il est en possession de la famille royale, mais il y a peu de chance qu’on me laisse m’en approcher. Alors, le toucher, n’en parlons même pas.
— Et pourquoi, pas ? s’insurgea Elira. Après avoir sauvé un membre de la famille royale et sauvé le pays d’une épidémie, c’est bien le moins que nous pouvons faire.
— Parce que cet objet et un trésor royal. Ça m’étonnerait qu’on me laisse l’emprunter.
— C’était donc ça ! fit Jellal, l’air plus énigmatique que jamais.
La princesse aurait bien aimé lui demander de clarifier sa pensée pour les pauvres mortelles qui n’était pas dans le secret des dieux. Mais il était dans son petit monde d’intrigues et de manigances. Et Elira savait que rien ne pouvait l’atteindre quand il était dans cet état.
— Il va donc falloir que le vieux roi reconnaisse tes droits de naissance pour accéder à ce fameux objet, commenta Jellal. La partie risque d’être très serrée. Tu joues un jeu vraiment dangereux.
Un pauvre sourire étira les lèvres du jeune homme.
— On pourrait le croire, mais pas vraiment. En fait, je sais depuis le début comment toute cette histoire va se terminer, souffla le jeune homme dans un souffle à peine audible.
— La pierre de permettra de rester conscient encore combien de temps ?
— Je ne sais pas, exactement… Quelques heures, peut-être.
— Fichtre et foutre ! Ça nous laisse à peine le temps de rejoindre la capitale.
*
Le carrosse avançait à vive allure, mettant à mal les royaux fessiers de ses nobles occupants. L’inconfort était de toute façon la moindre de leur préoccupation. Si ç’avait été possible, ceux-ci avaient préféré avoir recours à un moyen de locomotion plus rapide, malheureusement l’état du magicien ne lui aurait jamais permis de soutenir un galop.
Une heure seulement s’était écoulée depuis leur départ et même pas deux depuis le réveil du jeune homme, et déjà son état commençait à décliner. Plus le temps passait et plus il semblait évident que les estimations avaient été par trop optimistes. Il retomberait dans le coma bien avant le coucher du soleil.
Elira avait toujours mille questions en tête, qu’elle se gardait bien de poser. Elle avait déjà tiré quelques conclusions sur la base de ce qu’elle avait entendu, mais ne pouvait les confirmer pour l’instant. Que n’aurait-elle pas donné pour que Jellal lui avoue la vérité !
— J’ai fait prévenir le palais de notre arrivée annonça Jellal. Ils doivent avoir compris qu’il y a urgence. Espérons que tout se passera bien.
- Espérance, espérance, murmura Enki avec ironie. Que ta main droite se contente d’espérer. Que ta main gauche agisse. Si tu les presses l’une contre l’autre, tu verras bien ce que tu obtiendras.
— Bien dit ! Pour être honnête, je ne pensais pas que tu reviendrais et encore moins que tu ferais valoir tes droits. Tu es là, il n’y a rien à dire. Soutiens-moi et je t’accorderais une régence.
Le magicien dévisagea Jellal avant de se fendre d’un étrange petit rictus de conspirateur.
— Ainsi, tu convoites le trône.
— Nous le voulons tous.
Le dédain était nettement perceptible dans le faible ricanement qui émana des lèvres du jeune homme.
— Je me demande pourquoi vous êtes tous si obsédés par cette position ridicule.
— Tu veux dire que le pouvoir ne t’intéresse pas.
— Bien au contraire, je vise une position qui m’accordera plus de pouvoir sur ces terres qu’un roi, tout en préservant ma liberté.
En entendant ses mots, un frisson secoua le corps de la jeune femme.
— Une minute… stop… Marche arrière, s’exclama-t-elle d’une voix précipitée où on sentait l’incompréhension. L’objet dont vous avez besoin c‘est l’épée d’Homenxe ?
— Évidemment!
— Vous êtes au courant que l’épée carbonise tous ceux qui la touchent en dehors des personnes appartenant à la famille royale ? Tous les membres de sang royal doivent, le jour de leurs quinze ans, toucher l’épée. C’est une étape obligée, à laquelle nous devrons tous nous soumettre, avant de pouvoir prétendre à une quelconque position au sein du royaume. Je l’ai fait et je peux vous assurer que ce n’est pas une expérience plaisante. Il est même arrivé que certains n’y survivent pas alors qu’ils étaient de sang royal.
— Et bien, espérons que je survive, murmura faiblement le magicien dont l’état ne faisait que décliner. Remarquez, je n’ai pas trop le choix.
— Vous ne m’avez pas bien compris ! L’épée tue systématiquement toute personne entrant en contact avec elle, s’il n’est pas de sang royal.
— Je n’ai pas vraiment d’autre choix que de me soumettre au jugement de l’épée, car sans cela je mourrai.
— Mais…
— Je vous ai dit : je n’aitai pas le choix. Je mourrai de toute façon si je ne fais rien, alors autant tenter cette chance, si mince soit-elle. La seule chose que je crains c’est que l’on ne m’autorise pas à la toucher.
La jeune femme voulut ajouter quelque chose, mais avant qu’elle n’ait pu ouvrir la bouche, le magicien leva une main pour l’interrompre.
— Désolé ! souffla-t-il avec une profonde lassitude dans la voix. Je me doute que vous vous posez de nombreuses questions, mais dans mon état, je ne peux pas vous répondre.
Elira aurait bien voulu ne pas renoncer si facilement, mais le magicien semblait dans un tel état de fatigue qu’elle jugea préférable de lui épargner toute dépense d’énergie inutile
*
La conscience d’Enki était à la lisière entre rêve et réalité. L’esprit engourdi, il avait encore conscience de ce qui se passait autour de lui, mais était dans l’incapacité de réagir. Il était allé bien au-delà de ses limites et avait lutté pour tenir aussi longtemps qu‘il avait pu, mais cette fois son combat désespéré semblait être sur le point de prendre fin. Il allait s’endormir et s’enfoncer dans le sommeil. Un sommeil dont il ne se réveillerait pas et il ne pouvait rien y faire. Comment cela se pouvait-il ? Ça ne devait pas se terminer ainsi. Il l’avait pourtant vu. Cette pensée le préoccupa, un instant, puis la fatigue reprit ses droits et il oublia. Il était si fatigué. Il n’aspirait plus qu’à se laisser glisser dans l’inconscience, lorsqu’une voix lointaine arriva à atteindre le peu de conscience qu’il lui restait.
— Lève-toi, Enki. Si tu renonces maintenant, tout ceci n’aura servi à rien. N’oublie pas qui tu es.
Qui suis-je ? pensa Enki. Oui, c’était aussi pour ça qu’il était venu. Et il était grand temps de le révéler au monde et de voir si le monde l’accepterait. Cette résolution lui permit de tirer une force et une détermination nouvelles qui lui permirent de lutter pour se réveiller. Très vite, il eut cette sensation étrange qu’ont parfois certaines personnes au moment du réveil d’être privées de l’usage de leur corps. L’impression de n’être ni vraiment éveillé ni vraiment endormi, mais un peu des deux à la fois. Son esprit était désormais parfaitement conscient, il entendait même parfois ce que les gens qui s’agitaient autour de son corps inanimé racontaient. Pourtant, il était incapable de parler ou de bouger comme si son esprit était réveillé, mais pas son corps. Pas encore du moins.
Il lui fallut faire un effort de volonté, un effort soutenu de plusieurs minutes avant de pouvoir retrouver le contrôle de son corps et de sa voix.
Finalement, il ouvrit les yeux. Non sans surprise, il vit une jeune fille d’environ dix-huit ans qui lui était parfaitement inconnue.
— C’est ma sœur, répondit à sa place Elira.
Se redressant sur son siège, Enki réfléchit. Ce devait être sa voix qui l’avait sorti de son rêve, se dit-il. On ne pouvait se méprendre sur la signification de ses paroles cela signifiait, on savait qui il était et apparemment, il pouvait espérer un certain soutien dans l’ultime bataille qu’il s’abritait à livrer. Il comptait sur cela depuis le début sans pour autant ce faire trop d’illusions. Tout se passait comme prévu, finalement. Décidément, la vie était étrange : dire qu’un instant plus tôt tout semblait perdu.
— Merci, murmura-t-il d’une voix à peine audible. Si je m’étais enfoncé dans le sommeil, je ne me serais jamais réveillé.
La jeune fille lui adressa un sourire.
— Pas de quoi ! Tu peux signer ça, dit-elle en lui tentant un papier.
Enki le prit d’une main tremblante.
— C’est pour forcer la main du roi si besoin était. Il est très tatillon sur ce genre de chose et pourrait bien te refuser le droit de toucher l’épée, malgré ce que tout ce que tu as fait.
Enki s’y était attendu. Aucune importance, une fois qu’il aurait l’épée, ce papier et ce qu’il contenait n’aurait plus aucune importance, signature ou pas. Cependant, les quelques mots qu’il lut lui indiquèrent qu’il se trompait sur la nature du document, qu’au contraire c’était même son exact opposé.
On lui accordait le droit de porter le nom des Valmont et de jouir de toutes les prérogatives d’un fils de la famille.
Il sourit, peut-être finalement avait-il sous-estimé ces gens.
Très vite, on l’aida à se lever, mais le magicien voulut se déplacer seul. Question de dignité. D’un pas hésitant et mal assuré, il franchit la porte du palais.
La salle d’audience se trouvait dans le grand bâtiment richement ornementé devant lequel ils étaient passés en arrivant. En le traversant, Enki remarqua qu’il mêlait l’ancien et le moderne : à l’extérieur, il n’était que fenêtres en ogive et flèches gothiques ; à l’intérieur, il régnait un bourdonnement d’activité moderne.
Les murs de la salle d’audience étaient décorés de fresques magnifiques qui s’étendaient du sol au plafond. Au-dessus du trône les blasons des sept grandes maisons royales étaient suspendus et sur le trône était assis un vieillard à l’air suffisant. Le guérisseur sut, rien qu’en le regardant, qu’il ne devait pas compter sur lui pour accéder à sa requête. À sa droite se tenait un chevalier en armure blanche, et à sa gauche son fils.
La salle était également remplie de toute la noblesse. Le magicien n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de monde. Toutes ces robes superbes, tous ces costumes magnifiques… Malgré tout, il n’aimait pas la lueur de mépris qu’il lisait dans le regard des courtisans.
— Votre Majesté, je vous présente le magicien Enki qui… commença Jellal avant d’être interrompu par le roi d’un mouvement de la main.
— Nous savons tout cela. Ce que nous ignorons, en revanche, est ce que va nous coûter le petit service qu’il nous a rendu.
— Si je puis me permettre, Majesté, commença Jellal, les sourcils froncés et l’air franchement contrarié, il ne s’agit pas d’une si petite chose que cela. La vie de centaines de personnes a été épargnée grâce à l’intervention de ce magicien. De plus, si l’épidémie s’était étendue…
Le roi d’un signe de la main l’enjoignit de se taire
— Ci fait, Monsieur le Duc. Je vous ai bien compris, mais tout est question de perspective. En tant que roi, je vois les choses au niveau du pays et de l’intérêt du plus grand nombre. Si l’on considère les six millions d’habitants que compte mon état, la vie de quelques centaines de personnes ne représente pas grand-chose.
Jellal se mordit la lèvre supérieure ce qui était chez lui était un signe d’irritation. Comme il aurait aimé rabattre son caquet à ce vieillard condescendant et imbu de sa petite personne ! S’il l’avait laissé terminer sa phrase, il lui aurait fait remarquer que si Enki n’avait pas enrayé l’épidémie, elle se serait sans doute étendue au pays tout entier. Mais ce n’était pas une bonne idée d’irriter le souverain, avant qu’Enki ne lui présente sa requête ; même si, connaissant les préjugés du monarque, il estimait qu’il y avait peu de chance pour que cette dernière aboutisse. L’attitude du vieil homme ne faisait que confirmer ses craintes. En tentant de minimiser l’exploit qu’avait accompli Enki, le monarque signifiait implicitement qu’il était certes, prêt à offrir une aumône pour bons et loyaux services, du moment que les exigences du jeune homme restaient raisonnables.
Jellal s’abstint de répondre et se contenta d’acquiescer. Estimant que cet intermède était clôt, le souverain se tourna à nouveau vers Enki.
— Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, jeune homme. Toute peine méritant salaire, que désirez-vous ? De l’or, des terres, une situation ? Parlez !
— Roi d’Ambre, je ne désire rien de tout cela. Je ne souhaite qu’une seule et unique petite chose qui ne vous coutera rien ni à vous ni à votre peuple. Je ne sollicite que l’honneur de toucher le pommeau de l’épée d’Homenxe. J’ai des raisons de penser que si l’épée ne me tue pas, elle pourrait bien me sauver la vie.
Le souverain fronça les sourcils, visiblement outré par cette requête.
— Comment osez-vous demander cela ? Une petite chose dites-vous ? Co-
Le vieillard s’interrompit, se rendant compte que le magicien venait de lui renvoyer le qualificatif qu’il avait lui-même employé un instant plus tôt. Il grogna puis reprit :
— Ignorez-vous que l’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir et qu’elle tue toute personne étrangère à notre famille qui aurait l’audace de poser la main sur elle ?
— Je sais cela, Majesté. Malheureusement, dans la situation où je me trouve, je n’ai pas grand-chose à perdre et tout a gagné. Si l’épée me tue, rien ne changera pour moi puisque, dans l’état moribond où vous me voyez, je suis de toute façon condamné. En fait, même dans ce cas j’y gagne une mort rapide et sans douleur et le supplice de l’agonie me sera épargné. Et dans le cas très improbable où je survive, je serais sauvé.
Enki leva alors un regard plein de défi vers le souverain et ajouta :
— Même si je ne suis pas légitime.
Le souverain, la mâchoire crispée, fixa en silence le magicien. Son regard gris, aussi froid que le plus dur des hivers, la colère et la haine, déformaient les traits de son visage. Tous comprirent que quelque chose venait de se passer entre le souverain et le magicien et dont la teneur leur échappait. Car en vérité, rien dans les paroles du magicien ne justifiait une telle colère. De son côté, Enki savait désormais que le vieil homme connaissait ses origines et que sa présence ne lui plaisait guère.
— Il suffit ! éructa le souverain.
Un silence de mort tomba alors sur la salle d’audience. À l’évidence, la réaction du monarque était excessive, et tous, des soldats de garde aux courtisans, en passant par les valets de pied, durent s’interroger sur la raison de l’énervement du roi.
La princesse se leva, visiblement fort contrariée des réticences du roi qu’elle ne comprenait pas.
— Majesté, commença-t-elle avec une irritation nettement perceptible dans la voix, je ne vous comprends pas. S’il tient à toucher l’épée tout en connaissant les risques, alors pourquoi ne pas accéder à sa requête ?
— L’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir, scanda une nouvelle fois le monarque comme si cette raison expliquait tout. Je ne la souillerais pas en laissant ce bâtard la toucher.
Cette fois, de la colère brillait dans les yeux de la princesse. Elle pointa un doigt en direction du magicien.
— Cet homme est dans cet état parce qu’il a sauvé des centaines de vies, dont celle de mon fils. Est-ce que la vie d’un enfant appartenant à votre propre lignée a si peu de valeur à vos yeux ?
— Il n’a fait que son devoir !
Un rictus plein de cynisme étira les lèvres d’Enki.
— Suis-je donc devenu soudain l’un de vos sujets, Majesté ? Vous aurais-je prêté allégeance ? Je pense pourtant vous avoir entendu dire que je n’étais qu’un étranger. Il faudrait savoir. Si je suis un étranger, je ne vous dois aucune allégeance.
— Silence ! ordonna le vieil homme. Pour qui te prends-tu pour parler à Ton Roi sur ce ton ?
En temps normal, il ne se serait pas privé de lui rappeler que, pour la raison précédemment citée, il n’était pas son roi il aurait accompagné cette déclaration d’une réplique cinglante qui n’aurait pas manqué de faire passer le visage du vieux roi au cramoisi. Mais pour l’instant, et dans l’état où il était, il n’avait plus la force pour les joutes verbales. Il se dit qu’il devait être vraiment pitoyable pour renoncer à tout esprit de répartie.
Enki poussa un long et profond soupir et, baissant la tête, se résigna.
— Qui suis-je ? lança-t-il d’une voix pleine de lassitude. Plus rien ou presque, je suppose. Juste un homme qui va livrer son ultime et dernier combat.
Un silence de plusieurs secondes passa sans que nul ne s’avisât de briser. Puis redressant la tête, il planta son regard dans celui du prince héritier qui se tenait toujours à la gauche du trône et dit d’une voix qui malgré son extrême faiblesse fut assez fort pour être audible de tous.
— Reconnais-moi ou laisse-moi mourir, lâcha-t-il dans un souffle.
Un murmure choqué parcourut la pièce. La rumeur cessa aussi vite qu’elle était née, lorsque le prince se leva et déclara d’une voix forte :
— Il se peut effectivement qu’il paraisse d’origine humble. Je peux cependant vous affirmer qu’il descend d’une très ancienne lignée royale. J’en donne ma parole et, en tant que telle, elle ne peut en aucun cas être contestée. C’est donc à la fois son droit de sang et une obligation liée à son rang que de le soumettre au jugement de l’épée.
— Pas un mot de plus… Je t’interdis de prononcer une seule autre parole.
L’expression du prince, la manière dont il se retourna, exprimait un certain mépris qu’il ne pouvait totalement dissimuler envers le roi. Le concernant c’était chose assez rare. À l’ordinaire, dissimulé derrière un masque d'arrogance, il ne laissait jamais filtrer ses véritables émotions. Mais en cet instant l’expression qu’arborait le prince était bien plus effrayante. C’était le visage d’un homme dangereux. Un serpent lové prêt à mordre à la première provocation. Quel que soit le personnage qu'il avait créé pour comme masque à la Cour, celui-ci semblait s'être craquelé, si bien qu'à présent il ne lui restait plus rien pour cacher ses émotions.
— En tant que prince de sang, je peux prendre mes propres décisions seul.
Puis se retournant vers la foule des courtisans, il déclara :
— Comme vous l’avez sans doute compris, ce jeune homme est mon fils. Il est né avant mon mariage. Au vu et en raison de ces derniers actes, je le reconnais et lui accorde le droit porter le nom des Valmont ainsi que tous les droits et privilèges propres à un prince de sang.
— Espèce de misérable bâtard, rugit le roi.
Le prince lui adressa un sourire espiègle.
— Non ! Laissons de côté vos erreurs de jeunesse, ce n’est vraiment pas le moment.
— Je t’ordonne de revenir, immédiatement sur la déclaration que tu viens de faire.
— N’y comptez pas ! répondit le prince d’une voix étrangement profonde et qui reflétait une détermination sans faille. J’en ai plus qu’assez de n’être qu’un souffle de vie dans la nuit.
— Je suis le Roi ici, Sharidan, moi et non toi ! Moi ! dit-il en se frappant le haut de la poitrine. Moi ! Je suis toujours le Roi !
Le prince lui fit face. Les deux hommes se provoquaient du regard.
— Plus pour très longtemps si vous vous obstinez dans cette voie.
— Oserais-tu me menacer ?
Le prince haussa les épaules avec nonchalance.
— Je ne fais qu’énoncer une évidence indiscutable. Maintenant, qu’Enki a été reconnu, ça change tout. Vous ne pouvez persister à renier ses droits de sang, vous devrez en répondre devant le conseil royal. De plus (il s’avança et planta son regard gris acier dans celui du vieil homme) si mon fils meurt à cause de vous, je jure de saisir la première occasion qui s’offrira à moi pour vous briser.
Le souverain surpris eut l’air un instant décontenancé, voire même effrayé. Dans le petit monde hypocrite des intrigues de palais, ce type de déclaration était plutôt inédit. Après un instant de flottement pourtant, le roi se reprit et déclara :
— Cela ne change rien. Je n’accéderai pas à cette requête. Et quant à ce simulacre de reconnaissance, je saurais bien te faire revenir sur cette déclaration ridicule, dussè-je te faire emprisonner.
Le magicien, impassible lors de l’échange entre le père et le fils, se releva péniblement. Tremblant sur ses jambes, il avait toutes les peines du monde à se tenir debout
— Puisque vous n’accédez pas à ma requête, je suppose que je n’ai d’autre choix que de mourir. Il est donc temps de prononcer ma malédiction.
Le roi blêmit.
Tous les regards des courtisans étaient braqués sur le magicien. À la lueur déterminée dans son regard, on ne pouvait douter qu’il fût prêt à mourir en véritable prince d’Ambre. Le sang dans sa bouche ne l'empêcherait pas de rire, il mourrait en prononçant une malédiction irrévocable. Tous les princes d’Ambre avaient cet étrange pouvoir à l’instant de leur mort.
— Tu ne peux pas faire ça ! bredouilla le roi d’une voix qui se voulait déterminée, mais qui trahissait l’effroi. Tu n’es pas un vrai prince ! Tu n’es pas légitime. Tu n’as pas ce pouvoir.
— Dans ce cas, pourquoi avez-vous l’air tellement horrifié ? Ne vous inquiétez pas ! Ma malédiction, c’est à un autre que vous que je l’ai réservée, à lui l’ennemi d’Ambre…
Joignant le geste à la parole, il désigna d’un doigt inquisiteur un courtisan entre deux âges, vêtu de noir.
— Quoi ? hoqueta l’homme, l’air outré. Je ne me laisser…
— Taisez-vous ! s’emporta Enki. Je ne suis pas arrivé jusqu’ici pour perdre mes derniers instants à échanger des paroles malhonnêtes avec un tueur d’enfants.
Jellal n’y tenant plus leva la main, sautillant d’impatience.
— Enki, fichtre et foutre, peux-tu m’expliquer de quoi tu parles ?
— Je l’ai déjà dit. La maladie était d’origine magique. Cette épidémie n’était donc pas d’origine naturelle. Elle a été créée par magie noire et lâchée sur ton domaine. La raison, je l’ignore et franchement, je m’en moque, mais c’est cet homme qui en est à l’origine.
— Comment peux-tu en être sûr, demanda la princesse qui semblait être passée au tutoiement depuis qu’elle avait appris qu’il était son frère.
— La magie à une odeur et celle qui a provoqué l’épidémie était particulièrement reconnaissable. Cet homme est imprégné de la même puanteur.
— Je ne me laisserais pas insulter de la sorte, s’indigna le courtisan.
— Je sais ce que tu as fait ! Entends donc ma condamnation, meurtrier des tiens. S’il existe une justice divine, tu brûleras en enfer jusqu’à la fin des temps. Mais dans le doute, tu brûleras sur terre pendant un an. Tu souffriras l’agonie des grands brulés sans connaitre pour autant la délivrance de la mort. Tu brûleras pendant un an… Ensuite tu mourras… As-tu compris ?
Sans attendre une hypothétique réponse, il plongea son regard dans celui de sa victime et y lut la terreur, simple, primaire, animale. Il s’en délecta avant de conclure par ce seul mot :
— Brûle !
Sa malédiction prononcée, Enki s’effondra. Mort à n’en pas douter, car la malédiction ne faisait effet qu’à la mort de son auteur.
L’homme transformé en torche humaine semait la panique dans la salle d’audience. Les flèches et les épées des gardes le transpercèrent, mais aucunes ne l’atteignirent. Rien de surprenant du reste, la malédiction énoncée par le magicien ne disait-elle pas que le supplicié ne pouvait être tué avant la fin de sa peine ? Il brulerait ainsi un an sans connaitre la délivrance de la mort et au terme de cette année seulement, il mourrait. Une peine appropriée au crime qui avait causé tant de souffrances.
Bien évidemment, à force de courir dans tous les sens, il finit par provoquer des débuts d’incendie un peu partout dans la salle. On dut faire évacuer la salle par les gardes. Ce qui n’empêcha pas l’incendie.
Une fois, hors de danger, courtisans et serviteurs impuissants ne purent que regarder le château brûler. Très vite, le roi invectiva son fils.
— Tout est de ta faute ! Toi et ton foutu bâtard…
Il ne put aller plus loin. Comme un éclair, l’épée du prince jaillit de son fourreau et frappa le ventre du souverain. Un tel coup aurait suffi à l’éventrer s’il avait été porté avec le tranchant et non avec le plat. Il ne fallait pourtant pas y voir une quelconque magnanimité d’un fils pour son père, mais plus le désir sadique du tortionnaire désireux de prolonger au maximum les souffrances de sa victime. Cela fut d’ailleurs confirmé par un deuxième coup d’épée à l’épaule, un troisième dans les côtes et un quatrième à la mâchoire. Chaque coup porté avec plat de l’épée, mais chacun d’eux ayant suffisamment de force pour briser un os. Le prince avait désormais une lueur de folie meurtrière. Il frappait avec la frénésie d’un dément. Et il ne fait aucun doute qu’il aurait fini par le tuer le pauvre roi impotent si l’un des gardes ne l’avait pas maîtrisé.
— Mettez ce fou en prison, ordonna le roi. Je ne le connais plus.
— Ne me volez pas mes répliques, père, répondit le prince retrouvant son calme, mais avec toujours de la haine dans le regard. C’est moi qui ne vous connais plus et c’est vous qui irez en prison.
— Aux dernières nouvelles, j’étais encore roi. Il me semble d’ailleurs de l’avoir dit.
— Exact ! Et je vous avais répondu plus pour longtemps si vous continuez dans cette voie.
— Encore des menaces, tu ne fais rien pour améliorer ta situation.
— J’aimerais vous retourner la politesse, mais vous êtes désormais au-delà de toute aide.
En refusant d’accéder à la requête de mon fils, vous avez provoqué votre chute.
— Espères-tu des regrets de ma part ? lança le souverain presque amusé.
— Ho, oui ! Vous allez le regretter, et bien plus vite que vous ne le pensez. N’oubliez pas que je l’avais reconnu ! C’est donc la mort d’un Prince de sang que vous avez sur les mains. Vous devrez en répondre devant le conseil royal. Pour ma part, sachez que je requerrai la peine de mort.
Le roi eut un reniflement méprisant.
— Ta petite déclaration publique n’avait aucune valeur légale.
Une expression sadique et de profonde satisfaction apparut sur le visage du prince.
— C’est là, ou vous vous trompez ! Avant d’être introduit dans la salle d’audience, Enki avait signé tous les papiers d’adoption. C’est donc bien à un prince de sang à qui vous avez dénié ses droits et vous devrez en répondre.
Le roi blêmit.
— Personne ne me condamnera pour ça.
— N’en soyez pas si certain, intervint Jellal. Je peux d’orores et déjà, vous annoncez que vous ne devez pas espérer un quelconque soutien de la famille Otori. Et comme Sharidan parlera au nom de votre famille cela fera d’ores et déjà deux voix sur sept contre vous.
Jellal se pencha.
— Croyez-vous vraiment que le scrutin en restera là ? lui demanda-t-il d’une voix moqueuse en désignant les courtisans.
Le monarque remarqua alors l’hostilité dans leur regard. Apparemment, même les plus conservateurs réprouvaient son attitude. Il sut alors que tous étaient perdus.
Impitoyable, le prince Sharidan vint alors se planter face à son père et déclara :
— Le roi Oberon est présentement déposé de son tire de roi. Désormais, il ne fait plus partie de la lignée des Valmont. Il est donc privé de tous les avantages et privilèges qui étaient autrefois liés du fait de son appartenance à cette maison. Il est banni à jamais de cette famille. Emmenez ce bâtard (Il insista, particulièrement et à plaisir sur ce dernier mot). Deux gardes s’emparèrent du vieil homme qui gesticulait et protestait.

Trois jours après sa destitution, il fut exilé. On l’accompagna à la frontière et on lui signifia que s’il la franchissait à nouveau, ce jour serait celui de sa mort.
On veilla à offrir à Enki des funérailles dignes des plus grands princes. Ménestrels et conteurs chantèrent pendant des siècles, l’histoire de ce prince qui bien que renié et méconnu avait sauvé son peuple d’une terrible épidémie. Un détail rendait cette histoire particulièrement populaire : il était en effet de notoriété publique que le tombeau où était censée reposer la dépouille du prince magicien était vide. On n’avait effectivement jamais retrouvé son corps, pas plus que l’épée d’Homenxe dans les ruines du château. Cette double disparation donna lieu à toutes les spéculations. La plus populaire était que le prince n’était pas mort et, profitant de la panique causée par l’incendie s’était finalement emparée de l’épée qui l’avait sauvé. Ces spéculations devinrent vite une légende, avant de finir en certitude. Pour le peuple d’Ambre, il ne faisait aucun doute que leur prince magicien avait survécu.
Vous en voulez la preuve ? Allez donc en Ambre et demandez à n’importe qui, homme, femme, enfant ou vieillard : « Où est Enki ?». Il vous expliquera alors que leur prince s’est retiré dans une montagne où il attend le jour où son peuple aura à nouveau besoin de lui. Allez-y ! Essayez ! Vous verrez, ils lèveront le doigt pour vous montrer la montagne…
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