Chapitre XII

Vingt et une heures quarante — cinq

Cela fait cinq minutes qu’ils s’embrassaient.

Sakura retira sa main et laissa le geek rompre le baiser. Momentanément satisfaite,  elle s’étira avec un petit gémissement de plaisir.  Finalement, elle avait obtenu son second baiser. Cela avait pris le temps, mais force lui était de reconnaitre que le chinois ne se vantait pas lorsqu’il parlait de ses capacités dans l’art du baiser. Il était bien meilleur que les nonante-neuf autres mecs dont elle s’était servie pour se perfectionner. Peut-être même que malgré les efforts fournis, il se pouvait  qu’il la surpasse… enfin un jour.

Shaolan se redressa le regard un peu, un petit sourire béat sur le visage.

Cela ne va pas durée ! pensa avec amusement Sakura. Dès qu’il  se sera remis, il fera à nouveau semblant d’être indifférent. 

 Nonobstant, l’adolescente n’aurait pas souhaité qu’il en soit autrement. Il était préférable que les choses n’aillent pas trop vite, et puis il fallait bien le reconnaitre, ce petit jeu de séduction l’amusait beaucoup. Elle était quand même rassurée de trouver dans les yeux de Shaolan un écho à ses propres sentiments. En temps normal, il singeait l’indifférence si bien  qu’une petite partie d’elle-même en était venue en craindre  l’absence de toute réciprocité.

Soudain le regard du geek devint vitreux et il s’effondra. Croyant qu’il avait eu un malaise, Sakura s’inquiéta et lui demanda :

« Heu… Shaolan,, ça va.

« Il faut que je m’arrête de fumer, je manque de souffle.

L’adolescente gloussa.

« Mais tu ne fumes pas. Tu n’as pas l’impression d’en faire un peu beaucoup pour un petit baiser de rien du tout.

« Un baiser de cinq minutes n’est pas un petit baiser.

« Quelle mauviette, tu fais.

« C’est facile de dire ça avec tes se… heu…  tes poumons, je veux dire.

D’humeur toujours égale, et loin départir de son sourire l’adolescente répliqua :

« Je suis ravie de découvrir que tu t’intéresses à mes se… heu… mes poumons, je veux dire.

 Shaolan jugea plus sage de parler d’autres choses.

« Alors, c’était comment ce baiser ? Tu réalises à quel point, je suis douée, maintenant.

La jeune fille esquissa une mine critique peu convaincue.

« Ouais ! Je dois reconnaitre que c’était pas mal. Un peu au-dessus de la moyenne.

Ne se laissant pas miner par le manque d’enthousiasme apparent de la jeune fille, il se pencha doucement sur son corps.  Leurs lèvres étaient aussi proches que pouvaient l’être ceux de deux amoureux juste avant de s’embrasser. Lorsque son visage se pencha vers le sien, elle crut bien qu’il allait l’embrasser une seconde fois, mais ses lèvres s’arrêtèrent aux derniers moments. Leurs lèvres n’étaient plus séparées  que par quelque millimètre.  Le geek se figea un instant, laissant la tension entre eux s’accentuer. Finalement, il détourna ses lèvres vers son oreille et lui susurra un ton mielleux :

« Ha ! Et tu pousses souvent ce genre de petit cri de belette après avoir reçu un baiser juste moyen.

« Hé !

« Ben quoi, c’est la vérité !

Sakura un peu vexé fantasma un moment sur la perspective de le faire crier, lui aussi, sauf que ses hurlements à lui ne seraient peut-être pas des gémissements de contentement.  Elle renonça, ne voulant pas cacher les perspectives d’un badinage si prometteur.

« Bon, j’avoue, tu étais largement  meilleur que les autres mecs. Content ?

« Et il y en a eu beaucoup.

« Tu es le centième, l’informa-t-elle comme si ce nombre extravagant n’avait rien d’extraordinaire.

Le choc qui se refléta dans les yeux du geek avait quelque chose d’hilarant.

« Il fallait bien que je m’entraîne, se défendit-elle.

 « Cent quand même. En supposant que ce sois-moi qui t’ai donné ton premier baiser…

« C’est le cas, s’empressa de confirmer l’adolescente.

« Cela fait quand même vingt-cinq mecs par an.

« Tu peux parler, tu fais autant de ravage que moi parmi le beau sexe que je sache. Sauf que toi, tu ne te limites pas au baiser.

« Il ne faut pas exagérer le nombre de mes conquêtes non plus.  Je ne couche qu’avec dix filles différentes par an.

«Douze l’année dernière et l’année prochaine il n’y en aura que deux. Et l’année suivante plus qu’une

 « Deux? demanda Shaolan non sans surprise. Il savait que Sakura ambitionnait d’être la seule et unique alors pourquoi deux ?

« Moi et Tomoyo. Je te l’ai déjà dit. Mais ne rêve pas c’est provisoire. Cela ne dura que le temps que je te séduise. À l’ instant où l'on sortira ensemble, il n’y aura plus que moi

 « Tu es plus libertine  que je le pensais.

Elle le regarda en fronçant les sourcils.

« Ça ne me plait pas, mais je sais que tu es un érotomane patenté. Alors, s’y coucher avec Tomoyo peut t’empêcher d’aller voir ailleurs et m’éviter de te casser la gueule, je le supporterais. Et puis si cela peut parfaire ton éducation sexuelle, j’y gagne au final.

Shaolan eut un reniflement dédaigneux

« Comme si deux gamines pouvaient m’apprendre quoique ce soit en matière de sexe.

« Tu pourrais être surpris.

 « Je ne crois pas ! Je suis ton maître dans ce domaine.

« Pas sûr !

« Tu rêves les yeux ouverts.

 « Tu veux que je te montre.

« On avait dit un seul baiser.

Sakura eut l’air déçue un instant puis ces yeux s’illuminèrent de convoitise, ce qui n’échappa à Shaolan  qui se demanda à quelle sauce il allait être mangé.

« On avait bien dit que tu devais m’embrasser, demanda-t-elle avec une expression sur le visage qui aurait pu faire passer Nicolas Machiavel pour un enfant de choeur.

« Oui et alors ?

Elle eut soudain l’air ravi, mais ne répondit pas immédiatement à la question du geek savourant par avance le moment de son triomphe.

Mais dit-le, dit le que je vais crever, songea le chinois que le silence et l’attende d’une catastrophe imminente rendait nerveux.

« Hé, bien, nous avons inversé nos rôles, non ? Donc jusqu’à nouvel ordre je suis Shaolan et toi Sakura. Or, c’était Shaolan qui devait embrasser Sakura et non le contraire. En conséquence…

S’interrompant, elle le retourna sur son dos. En un instant leurs rôles avaient été inversés et se fut-elle qui se retrouva à califourchon sur lui. Décidément, il n’en finirait pas avec ce rendez-vous sans perdre toute sa crédibilité en tant qu’homme.

Nonobstant, il n’eut guère le loisir de s’inquiéter pour son ego en miettes, car à peine avait-il été retourné qu’une violente douleur avait fusé dans son dos.

Sakura lui jeta regard débité.

« Tu as  des problèmes de dos. Je sais qu’à partir d’un certain âge les hommes…

« Ce n’est pas le moment de faire de l’humour, j’ai l’impression d’avoir été retourné sur du verre pilé.

C’est alors que pour la première fois depuis la fin du baiser, Sakura s’avisa de l’effondrement de la table.

« Tu dois être couché sur des échardes de bois, suggéra-t-elle.

« Qu’est-ce que tu veux que des éch…

Le geek s’était interrompu dans sa phrase, car il venait de s’apercevoir à son tour de la destruction de sa table.

« Quand ? murmura le jeune homme

« En toute logique, lorsque nous nous embrassions. Mais je dois  reconnaitre que je ne m’étais rendu compte de rien. Bon, où en étions-nous ? Ah, oui prépare-toi à un baiser d’anthologie.

Shaolan grimaça de souffrance.

« Laisse-moi me redresser au moins.

« Pas question, je trouve ma position très plaisante.

« Mais la mienne est très douloureuse. 

« Ne t’en fais pas, j’en vaux la peine.

 Elle se pencha vers lui et l’embrassa. La pression de son corps contre le sien ne fit qu’accentuer la douleur, mais elle  avait raison, elle en valait le coup… largement. Au point qu’il se demanda si finalement malgré son plus jeune âge, elle n’embrassait pas mieux que lui. Il était toujours délicat dévalué  objectivement ces propres performances.

Quand après plusieurs minutes le baiser prit fin, elle lui demanda avec une expression qui donnait, pas mal dans l’autosatisfaction.

Le geek n’eut même pas le temps de se constituer un masque d’indifférence que là mais de la jeune fille se glissa sous sa mini-jupe.

Les rôles se  sont vraiment inversés, se dit-il.

« Tu as apprécié, lui susurra-t-elle à l’oreille.

Puis palpant la raideur qui était née au niveau de son entrejambe, elle conclut non sans satisfaction.

« Hum… oui on dirait que tu as apprécié.

« Et je suis Sakura, jusqu’à nouvel ordre fit le garçon et arrête de me plagier. Et puis c’est juste que ta chemise est toujours un peu  transparente.

« Si tu le dis, mon amour. Et désolé pour le plagiat, je n’ai pas pu m’en empêcher. Tu fais une très bonne Sakura, tu sais.

Que répondre à cela ? Rien.  Et c’est ce que fit Shaolan. La jeune fille se tourna sur le côté et l’observa un instant avant de lui demander, non sans malice :

« Alors, qui est le maître, maintenant ?

« N’exagère quand même pas. Je reconnais que pour une gamine c’était…

Une fois de plus, il n’acheva pas sa phrase,  Sakura dont la main était toujours posée sur son entrejambe imprima une légère pression sur l’organe sensible. Pas au point de lui faire mal, mais suffisamment pour qu’il ne puisse se méprendre sur le côté intentionnel du geste.

« Alors, qui est le maitre, maintenant ? redemanda-t-elle comme si de rien était le ton toujours aussi aguicheur, les manières toujours aussi affables.

Shaolan hésita un instant, mais la perspective que l’adolescente joue au casse-noix avec ces organes génitaux l’obligea à se montrer conciliant.

« Bon ça va. C’est toi le maître. Tu es la plus forte contente.

« Ravie. Je ne comprends pas pourquoi tant de filles sont attirées par les sportifs, c’est génial d’être plus forte que son copain. On obtient tout ce que veut.

Le geek émit un grognement pour toute réponse. Avec un gloussement, l’adolescente se releva au milieu des débris de ce qui fut jadis la table de la salle à manger de Shaolan.

« Viens ! J’ai loué un film d’horreur, l’invita-t-elle en se dirigeant vers la porte.

Shaolan se releva. Des échardes s’étaient enfoncées dans sa chair et du sang suintait des multiples égratignures. Il allait garder la trace physiquement pendant plusieurs jours et psychologiquement encore bien plus longtemps. Cela dit c’était autre chose qui le préoccupait.

Battu par une fille dans un concours de baiser et puis quoi après aux jeux vidéo ?

Poussant un profond soupir, il la rejoignit, à la fois craintif et excité de ce que lui réservait la suite du rendez-vous.