Chapitre XI

Chapitre XI

Vingt et une heures douze.

Shaolan pousse un profond soupir et avec un air dégoûté, il dit :

« Je suis vraiment obligé, se plaignit le Geek.

« Oui, asséna impitoyablement Sakura. Tu as promis.

À en juger par la mine débiter, on eut pu croire qu’il était la victime d’une injustice insigne.

« Mais je n’ai pas envie t’embrasser une petite fille, moi.

L’adolescente fit craquer les jointures de ses doigts et le regarda avec un air qui n’avait franchement rien de  rassurant. Constatant qu’il n’y couperait pas, les épaules du geek s’affaissèrent avec toute l’affliction et la résignation d’un condamné que l’on emmène à l’échafaud.

« Suis-moi, marmonna le garçon en se dirigeant le pas lourd et la tête basse vers la petite pièce qui lui servait à la fois de cuisine et de salle à manger.

Sans trop comprendre, Sakura lui emboîta le pas

Vingt et une heures quatorze.

Le Chinois et  Sakura sont dans la salle à manger.

« Tu veux te faire un casse-croûte avant le baiser, plaisanta la jeune fille. Si c’est le cas, je te préviens que tu n’approcheras pas ses lèvres si  ton halène pue l’ail.

Un fol espoir naquit alors dans son esprit. Avait-il de l’ail? Ce qui passait dans sa tête devait se lire sur son visage, car Sakura ajouta :

« D’un autre côté, si nos lèvres ne se rencontrent pas incessamment sous peu, cela risque de faire mal.

Elle plongea ses yeux dans les siens avec une expression sadique dans le regard qui faisait peur et insista :

« Tu risques t’avoir très, très mal si on ne s’embrasse pas bientôt. Alors un petit conseil, n’essaye pas de gagner du temps. J’ai déjà attendu ce premier baiser trop longtemps pour te laisser la moindre chance d’y couper.

« Le second, tu veux dire, corrigea le jeune homme. Le premier c’était sur un terrain de tennis lorsque tu avais onze ans.

Pour le coup, le teint de Sakura passa du jaune aux rouges pivoines.

« Tu… tu savais.

« Depuis peu, je te rassure. Tomoyo m’a montré la vidéo qu’elle avait prise. Soient dites en passant toutes mes félicitations si c’était ton premier baiser, tu avais de sérieuses prédispositions.

 Ce compliment sarcastique suffit à lui faire reprendre contenance. Elle décida de faire un peu bouger les choses en introduisant dans leurs jeux de séduction une once de défi et de provocation.

« Pauvre Shaolan ! Encore un domaine dans lesquel, je te bats à plate de couture. Tu penses qu’on trouvera un jour, une activité dans laquelle tu pourras rivaliser avec moi.

Un bref, ricanement jaillit des lèvres du geek.

« Il s’écoulera encore pas mal de temps avec que tu me passes dessus en matière de baiser. Au risque que tu me fasses une scène, je te ferais remarquer que j’ai pas mal d’expérience en la matière.

« Je sais ! Malheureusement, l’expérience ne remplace pas le talent, répliqua du tac au tac l’adolescente.

Shaolan feignit de s’en offenser.

« Tu penses que j’en manque ?

 « Quand même pas ! Mais il y a le talent et il y a le génie. Il y a moi et il y a toi.

 « Je vois que tu es très sûr de toi.

Du haut de son mètre quatre-vingt, elle se pencha et lui susurra  à l’oreille.

« Prouve-moi que j’ai tort.

Vingt et une heures vingt 

« Tu peux reculer un peu vers la table.

« Pourquoi ?

« Tu verras!

Se posant de sérieuses questions sur ce que mijotait le geek, l’adolescente fit ce qu’il lui demandait. Curieuse de voir où les élucubrations de Shaolan allaient les mener.

Elle se posa de sérieuses questions sur sa santé mentale quand elle le vit s’approcher en remuant le postérieur. Puis se rappelant qu’il avait inversé leurs rôles supposa que le jeune homme imitait sa démarche.

Très mauvaise imitation, décréta-t-elle partagée entre l’exaspération et l’hilarité en voyant le déhanchement chaloupé et grotesque. Dans le genre « caricature de démarche féminine » on pouvait difficilement faire mieux. Elle ne se déplaçait pas comme ça, quand même… n’est-ce pas?

Lorsqu’il fut à sa hauteur, il leva doucement sa main vers le visage de Sakura et lui caressa la joue tendrement, mais la lueur de lubricité qui brillait dans ses yeux promettait un viol imminent.

Intéressant. Très, très, très intéressant.

L’adolescente se demanda si elle avait vraiment ce regard quand elle le regardait . Si telle était le cas, c’était un peu gênant, elle pensait quand même dissimuler mieux que ça ses désirs d’étreinte charnelle.

« Hé, bien, mon petit Shaolan, susurra le geek avec une voix dont les inflexions féminines étaient si crédibles que la jeune fille aurait pu se méprendre sur le sexe de son partenaire en d’autres circonstances. Je pense que l’heure du second baiser est venue.

« Non, tu n’es qu’une gamine, Sakura, souffla l’adolescente d’une grosse voix se prenant aux jeux, elle ne put s’empêcher d’ajouter.

« Tu veux dire que tu n’es pas excité de ton côté, mon amour?

« Dans tes rêves ! murmura-t-elle se disant avec amusement qu’elle n’aurait jamais pensé dire ça un jour.

Shaolan posa sa main sur son épaule et la laissa glisser vers sa poitrine. Dans un geste plein de concupiscence, il apprécia la fermeté de ses seins.

« Oui ! Tu es excité ! murmura-t-il.

Waouh ! Il m’imite super bien. C’était dû très grand Sakura.

Le jeune homme passa son bras gauche autour de sa taille et ramena sa main droite vers son épaule. Puis, il  poussa l’adolescente, mais celle- ci  ne recula pas d’un millimètre. Ne se laissant pas abattre pour si peu, le geek redoubla d’effort. Cependant, il eut beau s’acharner, rien n’y faisait. Même s’il ne se ménageait pas comme l’attestait son teint virant doucement a l’écarlate, ainsi que les petits grognements qu’il émettait par intermittence. Sakura qui s’attendait à un kiss était quelque peu décontenancé par l’étrange comportement de Shaolan.

« Heu… Shao… Tu essayes de faire quoi, là ?

Au lieu de répondre le geek passa sa jambe derrière son talon dans l’intention manifeste de la faire chuter. Pas de chance pour lui, la jeune fille avait pratiqué bon nombre d’arts martiaux et savait donc comment garder son équilibre en toute circonstance. Ne se résignant pas pour autant à la faire tomber, il poussa avec tous son corps afin de la repousser avec plus de force. Bien que Sakura appréciât ce côté pugnace chez Shaolan, celui-ci essuya un nouvel échec.   

L’avantage de ce changement de stratégie, c’était que Shaolan avait plaqué son corps contre celui de la jeune fille, mieux sa tête était écrasée entre les seins de Sakura. Ce qui aurait pu la réjouir en  d’autre circonstance. Seulement, l’inconvénient c’était qu’il ne semblait pas profiter de sa chance. Pire ce goujat ne semblait même pas se rendre compte qu’il se trouvait dans une position pour le moins équivoque.

Mais bon sang qu’est-ce qu’il cherchait à faire au juste ? Jouer au catch ? Elle était loin d’être contre. Cela lui fournirait une excuse pour le tripoter a loisir. Mais était-ce bien le moment ? Ce n’était pas pour dire, il y avait quand même d’autres affaires plus urgentes en souffrance, le baiser qu’il était censé lui donner par exemple. Est-ce qu’il cherchait à repousser l’inévitable en se comportant, ainsi ? Si tel était le cas, il se mettait le doigt dans l’œil. Il fallait qu’elle en ait le cœur net.

La jeune fille  saisit le jeune homme par les poignets. Malgré la résistance qu’il lui opposa, l’adolescente le repoussa sans mal. Un peu trop fort, en vérité. Le geek fut projeté en arrière, et même si cela était purement accidentel, Sakura réussis donc à accomplir ce dont il avait été  incapable d’accomplir

« Maintenant, explique-moi ce que tu essayes de faire.

Le geek superbement travesti là regarda la larme à l’œil avec un air apeuré de petit garçon, puis il l’engueula:

« T’es rien qu’une méchante.

Puis, il se recroquevilla sur lui-même sans parler.

Vingt et une heures vingt-cinq

Cela fait plusieurs minutes que Shaolan toujours prostré ne parle plus, ne bouge plus et ne réagit plus. Sakura n’y comprend plus rien.  Une idée loin de pouvoir tout justifier, lui vint. Consciente que cela pouvait à la rigueur expliquer son récent mutisme, mais pas son obstination à la faire tomber, elle lui demanda :.

« T’es vexé parce que je suis devenue plus forte que toi ? Tu as l’impression de perdre ta crédibilité en tant qu’homme.

Shaolan ne répondit pas

 Vingt et une heures trente

Cela fait cinq minutes que Sakura essaye de rassurer, le jeune homme sur sa virilité.

« Allez, Shaolan, ne fait pas le bébé ! Bon sang, tu es un geek, tu ne devrais pas te vexer de ton inaptitude physique. Certaines filles sont plus fortes que certains mecs, c’est comme ça. Et puis de toute façon, en ce qui me concerne, j’estime être plus forte que n’importe quel universitaire lambda et je ne te parle même pas de la communauté geek.

 Shaolan garda le silence.

Vingt et une heures trente-deux

.

D’un coup Sakura  passa de la conciliation à l’exaspération puis à l’énervement. Et se met à l’engueulé copieusement.

« Ce que tu peux être chiant. Simplement parce que tu ne supportes pas que ta copine de quinze ans soit plus forte que toi. T’as qu’à t’entraîner au lieu de jouer aux jeux vidéo, si ça te gêne tant que ça. Et puis ça rime à quoi de m’emmener dans la salle à manger et me dire de me mettre dos à la tab..

Et tout d'un coup ce fut l’épiphanie. Son regard passa du geek à la table.

Vingt heures et une trente-cinq

Sakura croyait avoir compris. Cependant, de peur de se tromper et de passer pour une idiote, elle hésita une bonne minute. Finalement, elle demande :

« En fait, tu voulais me renverser sur la table et m’embrasser.

Pour la première fois en dix minutes, Shaolan releva la tête et sortit de son mutisme.

« Ça me semblait collé avec la façon de faire du personnage de Sakura.

L’adolescente hocha la tête en signe de confirmation.

« Sauf que moi, je l’aurais fait pendant un diner.  Et avant j’aurais  balayé assiette, verre et nappe. Je ne  pense pas non plus que je ne me serais pas contenté d’un baiser. En fait, je sais que je serais allé au bout de mon fantasme.

Shaolan sourit

« C’était une improvisation, cela ne pouvait pas être parfait.

« Ne m’en parle pas ! Je sais ce que sais avec mon soda renversé, si seulement, j’avais su que cela collerait autant,  j’aurais amené une bouteille d’eau.

« Et ce n’est plus aussi transparent.

L’adolescente poussa un grognement en voyant qu’il avait raison. Mais passa très vite à autre chose. Maintenant qu’il reparlait, il était temps de reprendre les choses où l'on en était. Elle alla se placer devant la table

« Et si on reparlait de ce baiser.

Il ne répondit pas.

« Allez, je ne résisterais pas trop cette fois-ci.

« Trop tard. Ce sera plus pareil, maintenant que tu sais.

Il retomba dans son mutisme.

Vingt et une heures trente-sept.

La princesse Sakura s’était elle-même étendue sur la table en raison u manque de muscle de son prince. Avec une infinie patience, elle attendait son baiser.

« Allez vient Shaolan.

Mais le prince boudait

Vingt et une heures trente-huit.

« Shaolan, tu as promis, insista la princesse Sakura.

Vingt et une heures quarante.

Toujours étendue sur la table, la princesse Sakura commençait à s’impatienter et décida finalement de lancer un ultimatum à son beau prince.

« Si tu ne viens pas m’embrasser tout de suite, j’enlève cette putain de chemise toute collante et je t’oblige à…

L’adolescente s’interrompt. Elle avait failli révéler prématurément une de ses manœuvres de séductions les plus abouties. Mais elle gardait ça pour plus tard dans la soirée.

« M’obliger, à quoi ? demanda Shaolan que la brusque interruption de la jeune fille avait rendu suspicieux.

« Je t’obligerais à faire des choses que tu n’aimerais pas faire avec une fille de quinze ans. Même si tu en rêves surement toutes les nuits depuis des années, vilain pédophile.

Le geek hésita, mais croyant pouvoir éviter le scénario-catastrophe que venait de suggérer la jeune fille, il se résigna. Bien sûr, il avait tort ce n’était que partie remise.

« Bon ! Tu as gagné.

« As-tu envisagé sérieusement qu’il puisse en être autrement. Je te l’ai déjà dit, je te bats dans tous les domaines.

« Pas en baiser.

Elle lui adressa une moue de défis.

« Prouve-le.

Vingt et une quarante.

Le prince Shaolan se pencha sur le corps de la princesse. Du moins, il se penche sur elle au début, mais très vite elle le saisit par la taille et l’attire sur elle. Il se retrouve tous les deux couchés sur la table et échange un baiser passionné.

Vingt et une heures quarante et une.

Cela faisait une minute qu’ils s’embrassaient. Le prince avait bien tenté de mètre un terme au baiser, mais Sakura ne l’entendait pas ainsi. Elle plaça sa main derrière sa tête pour l’empêcher de s’écarter. Et bien sûr, ce que femme veut… enfin, il continue à s’embrasser. La table de la cuisine avait du mal à supporter leurs poids, elle émit  des grincements inquiétants. Tout entier l’un à l’autre,  le couple ne se soucia pas de la plainte du meuble, ils ne l’entendirent même pas.

Vingt et une heures quarante-deux.

Deux minutes que le baiser dur et ce qui devait arriver, arriva dans un grand fracas la table s’écroule avec le couple. Pourtant de la même façon que les grincements avaient été ignorés, son effondrement le fut également.

Au milieu des débris de bois, le baiser continuait.